Jacques Chirac réaffirme à Washington l'offre de coopération de la France
• LE MONDE | 19.09.01 | 10h16
La participation à une action militaire n'est "concevable" que si les objectifs sont définis en commun, a cependant rappelé le président français. Donald Rumsfeld laisse entendre, de son côté, que plusieurs Etats pourraient être visés par différentes formes de riposte.
WASHINGTON de nos envoyés spéciaux
Jacques Chirac était le premier dirigeant étranger à être reçu, mardi 18 septembre, par George W. Bush, depuis les attentats. Il était donc aussi le premier Européen à être ainsi en mesure de préciser devant le président américain jusqu'où la solidarité des pays de l'OTAN à une action de représailles pourrait aller. Autant dire que sa position revêtait une relative importance aux yeux des Américains, comme premier signe tangible de la mise en place de la coalition annoncée par l'équipe du président Bush, depuis une semaine.
L'importance de cette visite s'est mesurée d'emblée à la présence, dans le bureau ovale qui servait de cadre à l'entretien, de presque tous les poids-lourds de l'administration Bush : le vice-président, Richard Cheney, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, et la conseillère pour la sécurité nationale du président, Condoleezza Rice. Et par la présence, devant la Maison Blanche, de nombreux journalistes américains.
A l'issue de deux heures d'entretiens entre les deux hommes et leurs conseillers (le ministre des affaires étrangères français, Hubert Védrine, qui n'était pas initialement prévu lorsque la visite avait été organisée, avant les attentats, s'était joint à M. Chirac), le président français a donc lancé : "La coopération militaire, naturellement, peut se concevoir, mais dans la mesure où nous nous serions préalablement concertés sur les objectifs et les modalités d'une action dont le but est l'élimination du terrorisme." Ce que le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Mc Cormack, a aussitôt traduit par : "Nos deux pays sont unis et ils le resteront dans le conflit."
Les milieux politiques américains n'étaient pas, jusque-là, tout à fait convaincus de la solidarité pleine et entière de la France. Ils s'étaient inquiétés, ces derniers jours, des déclarations du premier ministre, Lionel Jospin, et du ministre de la défense, Alain Richard, qui paraissaient émettre des réserves quant à la participation à une éventuelle intervention militaire demandée par les Etats-Unis. Sur ce point, M. Chirac est lui aussi resté relativement elliptique. Interrogé sur la position de la France en cas de riposte militaire, le président a seulement expliqué : "Nous avons évoqué les différentes hypothèses. Je comprends mieux, désormais, les intentions ou les réflexions du président Bush. Mais c'est un domaine où je ne ferai pas de commentaires."
Quelques minutes après son arrivée à la Maison Blanche, cependant, alors que la presse était admise pour quelques minutes dans le bureau ovale du président américain, M. Chirac avait paru émettre quelques réserves sur l'emploi du terme "guerre" contre le terrorisme, pourtant employé à plusieurs reprises par George W. Bush. "Je ne sais pas s'il faut utiliser le mot de guerre", avait-il ainsi lancé à propos de la série d'attentats qui ont frappé les Etats-Unis. Dès son point de presse, une journaliste américaine l'a donc interpellé : "Il y a eu quatre attentats et près de 6 000 morts. Est-ce que vous n'appelez pas cela une guerre ?" Et M. Chirac a dû rectifier un peu le tir : "Je ne veux pas faire de querelle sémantique, je suis parfaitement conscient qu'il s'agit d'un conflit, d'une guerre, appelez cela comme vous voulez, mais en tout cas d'un nouveau type de menace."
Déjà, lors de conversations avec la presse à Paris, ces jours derniers, le président n'a pas caché qu'il considère que la France ne peut se dérober à l'affirmation de sa solidarité avec les Etats-Unis, "parce que, dit-il, l'Histoire le commande, la morale l'exige et l'intérêt l'impose", et que nous sommes "potentiellement visés et visables". Mais le chef de l'Etat considère qu'il "ne faut pas frapper à l'aveuglette. Il faut être sûr des objectifs".
Après son entretien avec M. Bush, le président français a donc surtout insisté sur la nature de la coopération internationale à mettre en place pour renforcer les moyens de lutte de la communauté internationale contre ce fléau. "Cela comporte toute une série d'initiatives dans les domaines judiciaire, du renseignement, contre le blanchiment de l'argent sale qui alimente le financement des terroristes". Aux yeux des Américains, en effet, la France semble dotée d'une certaine avance en matière de lutte contre le terrorisme. Elle est aussi, considèrent-ils, susceptible de détenir des informations qui sont pour eux, aujourd'hui, de la plus grande importance. Enfin, M. Bush n'a pas caché qu'il considère que les relations de la France dans le monde arabe pourraient aussi aider – en montrant son engagement auprès des Etats-Unis – à justifier leurs initiatives dans cette partie du monde.
M. Chirac, qui sera de retour à Paris dans la nuit de mercredi à jeudi, après avoir fait un crochet à New York pour rencontrer notamment le secrétaire général de l'ONU et la communauté française, devrait s'entretenir avec Tony Blair, jeudi matin. Le premier ministre britannique prendra en effet un petit déjeuner avec le président français avant de partir à son tour pour Washington.
Patrick Jarreau et Raphaëlle Bacqué
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